Contrairement aux autres êtres vivants et aux objets qui sont produits ou reproduits, l’être humain, réalité unitotalitaire, est procréé.       C’est- à - dire il est issu d’un don mutuel d’amour que Jean Paul THOMAS[1], à la suite d’Emmanuel LEVINIAS, appelle la phénoménologie de la caresse surgissement de l’altérité. Cette procréation est au-delà d’un simple phénomène biologique. Parce qu’elle  met en marche le début d’un être qui est une fin en soi ; un être qui est non seulement corps, mais aussi et en même temps esprit[2]. Il est donc impossible de comprendre la production d’un être doué de liberté par une opération physique[3]. Malheureusement, avec la naissance de la procréatique, l’être humain est produit, reproduit, photocopié, voire poly - symbolisé. Son espèce, son identité, sa culture de l’être, sa famille, ses structures parentales et généalogiques sont aux abois. Elles réclament une protection efficace face au bioterrorisme que génèrent les technosciences de la procréation qui nient et bestialisent, gomment, déstabilisent et déstructurent.

 Cette procréatique et la criminalité qui l’accompagne ne sont plus des réalités lointaines. En effet, les procréations artificielles sont  officiellement opérationnelles en RDC depuis 1998, l’année de la naissance déclarée du  bébé procréatique congolais par la technique de l’insémination artificielle intra conjugale (IAC). Dès lors, les enfants du secret naissent dans des foyers congolais aussi bien par l’insémination artificielle (IA) que par d’autres techniques de pointe. Emmanuel, le premier bébé éprouvette produit en RDC, est né à Kinshasa en 2000 par la technique de la fécondation in vitro et transfert d’embryon (FIVETE). En  décembre 2005 la micro injection intra ovocytaire, encore appelée Intra cytoplasmic sperm injection  (ICSI), fit son entrée  sur le marché procréatique congolais avec la naissance  de deux jumeaux. La location d’utérus n’est pas en reste. Cette technique,  à la base d’une nouvelle forme de traite en vue du servage des femmes et filles  congolaises à qui l’on offre un voyage à l’étranger pour devenir des mères porteuses, préoccupe certains fivistes congolais. Car depuis 2006, les centres des procréations médicalement assistées (PMA) reçoivent les demandes en vue de  gestation pour autrui. Au niveau de la recherche, ces centres s’adonnent aux diverses manipulations des gamètes et des embryons humains. Certains d’entre eux conservent même des cellules souches, matériel biologique indispensable pour le clonage.

 Toutes ces pratiques et bien d’autres, qui recherchent des solutions thérapeutiques à certaines maladies et viennent en aide aux couples en problème de procréation, s’accompagnent d’une criminalité qui met à mal les valeurs congolaises et universelles énumérées ci-dessus. Nous pouvons à titre d’exemple citer la technique de la mère porteuse, technique consistant pour une femme de mettre en location son utérus et de porter un enfant pour le compte d’un couple commanditaire. Cette technique instrumentalise le corps de la femme, réduit en incubateur. Elle met à mal la filiation de l’enfant qui peut avoir jusqu’ à 6 parents : un père technique (le fiviste), un père géniteur (donneur de sperme), un père juridique ou socio - affectif, une mère  génitrice (donneuse des ovocytes), une mère gestatrice (mère porteuse), une mère  socio - affective. Elle déstabilise la famille ; laquelle déstabilisation culmine quand la mère porteuse est belle mère. Celle - ci porte et accouche d’un enfant  issu des œuvres de sa fille et de son beau fils ou l’inverse.

 Il convient de savoir que les pratiques procréatiques qui se développent en RDC sont encore médicalisées. Les fivistes et procréatistes qui s’y adonnent le font sur base d’une autorisation ministérielle (Lettre n° 1250/CAB/MINSPA FFSF/1232/97 du 18 novembre 1997 du ministre de la santé publique autorisant l’ouverture de laboratoire des recherches biomédicales de haute technologie).

 Face à la dangerosité de ces techniques, est- il concevable que la pratique des PMA en  RDC continue à  se développer sur base d’une autorisation ministérielle ?  Ne peut- on pas  purement et simplement l’interdire ? Une telle interdiction sera- t- elle efficace face aux techniques qui pallient la stérilité en croissance dans une culture où la fécondité est sacrée et la procréation naturellement assistée (PNA) tolérée ?  Cette sacralité de la fécondité et la pratique de la PNA ne constituent- elles pas des signes de tolérance de la procréatique et une remise en cause de l’intervention pénale dans ce domaine ? Mais que devient l’enfant dans cet acharnement procréatif qui n’écarte pas les nullipares sur la liste des mères  porteuses et offre même aux morts la possibilité de procréer de leurs œuvres au-delà de la mort ? Quid de l’avenir de la famille congolaise, de l’espèce humaine, de l’humanité de l’homme et des valeurs qui s’y attachent dans cette réification procréatique ? Il est clair qu’il faut une protection efficace de toutes ces valeurs. Mais comment  le faire sans porter atteinte à la liberté de la science ?

C’est la tâche à laquelle s’est adonnée notre dissertation, objet de cette soutenance, qui a pour sujet : La lutte contre la néocriminalité procréatique  en  RDC. Esquisse  de politique criminelle applicable dans un domaine de bioéthique.

Il s’est donc agi de penser la politique criminelle applicable dans une matière qui relève du droit de la biomédecine et trouve son fondement en bioéthique (la procréatique étant l’une de ses matières), pour se prévenir et lutter contre une criminalité multifaciale,  complexe comme un céphalopode et variable comme une céphéide. Une criminalité dont les auteurs sont, en principe, les savants et les riches. Parce que les techniques procréatiques, à l’exception de l’insémination artificielle où la femme est à même de s’inséminer sans recourir à un fiviste, nécessitent un grand savoir et un grand avoir pour asseoir le pouvoir de l’homme maître de l’homme.

 Cette étude, qui a un intérêt considérable comme le démontre son objet, a été guidée par une question de départ, à savoir : qu’est - ce que la néocriminalité procréatique et comment freiner son développement en RDC ?

 Nos recherches effectuées pour répondre à cette question démontrent que : ni une  politique abstentionniste, marquée par le cachet de la médicalisation ou du corporatisme, ni une politique  criminelle prohibitiviste ou assimilationniste, ne sont à même de freiner la montée de cette criminalité dans notre pays. La première, préconisée par les biotechnoscientistes est dangereuse, elle ne permet pas de prendre toutes les mesures de précaution pour éviter la catastrophe. La seconde est utopique eu égard à la complexité de la matière et à cause de la flexibilité du droit, très remarquable en ce temps postmoderne. La politique criminelle, à même d’infléchir l’inévitable biotechnoscientifique, est celle de la régulation : humaniste et humanisante, mais aussi participative. Il s’agit  d’une politique criminelle qui fait la jonction des mécanismes à caractère pénal et de prophylaxie sociale, et qui s’appuie sur une pédagogie d’apprentissage à l’humanisme, en appliquant des mesures humanistes même si elles sont pénales. C’est une politique criminelle qui veut que la réponse pénale, très contestée par les procréatistes et très réclamée par la société pour la protection des valeurs définies, s’intéresse au sort des délinquants et à la situation des victimes. Que cette réponse pénale soit celle dont la licéité tient de la légitimité du peuple à qui elle est destinée.

 Il est clair que ces affirmations résultent de l’analyse et interprétation, par des méthodes, des données collectées grâce aux techniques. Les techniques documentaires, par la documentation écrite et filmographique (encore appelée la documentation par image), nous ont permis d’avoir les données relatives à la procréatique et à la criminalité qu’elle génère ou facilite. Les techniques vivantes, à savoir l’entretien et l’enquête menée auprès d’une population de 400 individus, nous ont offert les données relatives à la culture congolaise et l’opinion de la majorité des kinois enquêtés sur la procréatique. Celle - ci est réellement allergique à l’artificialisation de la procréation ; même si pour des raisons  culturelles et humanistes, elle tolère certaines techniques procréatiques comme l’insémination artificielle entre  vifs et la FIVETE classique.

Grâce au conceptualisme et à la méthode descriptive,  nous avons défini, décrit et analysé  la procréatique ainsi que la criminalité qui l’accompagne. Cette procréatique, entendue comme science de la procréation artificielle, se confond dans son sens strict aux procréations médicalement assistées. Alors que dans son sens large, elle dépasse le besoin clinique de stérilité pour répondre à d’autres motivations qui sont antisociales, inhumaines et criminelles. Elle devient ainsi criminogène.  Elle se comprend à travers ses différentes techniques, telle que : la symbiotechnie, la transgenèse, l’ectogenèse totale, le clonage, la location d’utérus, la cryopréservation ou vitrification d’embryons, la FIV/FIVETE, la technique de lavage utérin, l’insémination artificielle  Ainsi que par ses différents crimes, comme par exemple ceux contre l’espèce humaine, le servage et le courtage procréatique, l’embryocide.

 Pour connaitre les causes de son développement, la méthode génétique nous a facilité la tâche. Elle nous a aidée à constater et démontrer que la perfection qualitative et quantitative de l’humanité est la cause lointaine et permanente du développement de cette criminalité. Mais pour réaliser le rêve du surhomme, les procréatistes ont trouvé la porte d’entrée dans la stérilité des couples en problème de procréation. Celle - ci est donc l’occasion ou la cause immédiate. En effet, sans négliger leur secours à la souffrance de ces couples qui veulent avoir justement l’enfant qu’ils sont incapables de procréer par le don mutuel de leur corps qui s’ouvre à l’altérité, ces procréatistes ne se sont pas seulement activés à créer l’amputation entre sexualité et procréation, mais encore à réaliser la gestation des embryons humains par des espèces non humaines, à fabriquer des hybrides humanoïdes et s’adonner à d’autres pratiques inhumaines et an humaines. La thérapeutique leur sert d’arme imparable pour réaliser ce bioterrorisme avec ou sans la bénédiction légale.

 Ce bioterrorisme caractérise la crise du fondement, cause profonde de l’accélération de cette criminalité. Cette crise du fondement est due à l’élévation de la technoscience au rang de l’entier, devenant ainsi la valeur de référence qui se substitue à l’homme. Cette promotion de la technoscience au rang de l’absolu crée la division au sein de la praxis et la confusion des rationalités au profit de la rationalité technique. La rationalité théorétique et la rationalité pratique sont remorquées par la rationalité technique. Et l’agir humain, traditionnellement conduit par le jugement de valeur, est opérationnalisée. Et dans cette opérationnalisation, la matière vivante pensante n’est pas épargnée. Au lieu de servir de mesure à la technoscience, elle est utilisée comme moyen pour réaliser le possible biotechnoscientifique.

 Alors, quels mécanismes proposés pour se prévenir et lutter contre une criminalité aussi complexe, où les considérations économico utilitaristes ne sont pas en reste ?

C’est ici qu’intervient la méthode comparative dans une approche axiologique, interdisciplinaire et prospective, pour déterminer les options à prendre. Nous avons procédé par l’analyse des controverses doctrinales et jurisprudentielles, ainsi que des disparités normatives en procréatique ; le tout confronté aux valeurs universelles et socioculturelles congolaises.

 Grâce à l’approche axiologique, nous avons démontré l’interpellation du droit pénal par la bioéthique qui lui demande d’actionner sa fonction anthropologique pour sauver l’homme dans sa dimension              onto- axiologique. Cette discipline juridique doit donc s’interdire de s’encrer dans le poncepilatisme dû à la peur du syndrome de Galilée. Car la violation transversale des droits fondamentaux, c’est-à - dire celle qui recouvre ou utilise plusieurs domaines ou techniques (et qui est le propre des technosciences), interpelle le droit pénal postmoderne, sommé de donner une réponse humaniste (et humanisante) dont la légalité est encadrée par la proportionnalité et la subsidiarité.

L’approche interdisciplinaire s’est activée à offrir un fondement anthropologique, philosophique et juridique à la politique criminelle que nous préconisons. Ce fondement, qui inspire l’être pénal, s’ouvre à d’autres disciplines qui cohabitent sans se confondre dans l’interdisciplinarité de la bioéthique. Il s’agit notamment de la biologie (particulièrement  la génétique), de la médecine, de la démographie, de la psychologie et de l’écologie. L’être pénal inspiré nous a permis de préciser les sanctions non admissibles, admissibles et à encourager en procréatique. C’est grâce à cette approche que nous avons proposé la révision de l’incrimination de la propagande antinataliste en tenant compte de la réalité scientifique procréative. C’est aussi grâce à elle que nous avons insisté sur la nécessité de créer une nouvelle catégorie des incriminations, à savoir celles contre l’espèce humaine.

L’approche prospective nous a permis de démontrer la nécessité d’adapter la responsabilité pénale en biomédecine à la nouvelle forme de risque : un risque imprévisible et irréversible. La responsabilité pénale doit dépasser le fondement classique de la faute et intégrer la dangerosité des actes. Pour ce, la création des infractions de mise en danger est réellement indispensable en cette matière. Et la responsabilité de la personne morale, qui doit être très lourde en ce domaine, nécessite l’instauration de la solidarité pénale en cas de participation criminelle.

De tout ce qui précède, il importe de retenir que la néocriminalité procréatique est une  nouvelle forme de criminalité qui instrumentalise, réifie ou  bestialise l’humanité de l’homme et de son espèce ; c’est une criminalité qui porte atteinte aux valeurs de la culture de l’être, en substituant la production et la reproduction à la procréation.

Schématiquement, elle est constituée des pratiques et comportements ci - après :    Le clonage humain, aussi bien reproductif que celui dit thérapeutique ;    L’eugénisme, qu’il soit altératif ou mélioratif, comme par exemple :    La fabrication des hommes génétiquement modifiés (HGM) ou la transformation du patrimoine génétique des générations futures, par la transgenèse intra espèce ;    La fabrication des hybrides humanoïdes (homme –animal, homme- végétal), par la transgenèse interespèce ; La poly- symbolisation ou la multiplication des espèces humaines à partir du corps humain, en recourant à la symbiotechnie et à la  transgenèse interespèce ;  L’incitation et la provocation au clonage et à l’eugénisme ;   La propagande et la publicité en vue du clonage et de l’eugénisme ;  la participation au clonage et à l’eugénisme ;  L’association en vue du clonage et de l’eugénisme ;   Se prêter au prélèvement des cellules et des  gamètes  en vue du clonage  Le  rabattage, le servage, le courtage procréatique ;    Le prélèvement des gamètes par fraude ou ruse ;   L’application des paillettes non congelées ;    Le mélange des spermes ; La reproduction des stériles ;  Les atteintes au principe de l’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes par des pratiques comme : La location d’utérus ;   La commercialisation des gamètes;  La reproduction délibérée des orphelins en recourant notamment à l’insémination artificielle post mortem 

-            Les atteintes à la vie et à l’humanité de l’être humain anténatal par les pratiques :   d’embryocide ; de bébé - médicament ;

·         d’élevage d’êtres humains en recourant à l’ectogenèse  totale ;  de conception des embryons humains in vitro ou par clonage à des fins industrielles  ou commerciales ; de leur gestation par de grands mammifères et de  leur cryopréservation  à durée indéterminée ;  de brevetage du vivant  humain ;    de  cession  des embryons humains à des organismes non agrées ; 

·         de création illicite des cellules souches embryonnaires, de leur industrialisation et de leur commercialisation ;

·         de l’importation ou l’exportation  illicite des tissus et cellules embryonnaires ou fœtaux      La déstabilisation de la famille, le gommage des repères généalogiques et de la figure du père, par des pratiques comme  les maternités de convenance, même des unisexes, et la parthénogenèse provoquée

 

Pour contrer cette menace certaine de la dégénérescence de l’espèce humaine, nous demandons au législateur l’incrimination de  ces pratiques et comportements et proposons diverses mesures de prophylaxie sociale. Nous pouvons en épingler les plus importantes, à savoir :    L’élévation du niveau de vie de la population par l’adoption d’une politique salariale conséquente ;   L’encadrement de la vie familiale par la création des écoles des parents, des centres d’information pour les jeunes couples et autres programmes de ce genre ;     Le renforcement du comité interministériel de lutte contre les drogues, ou mieux la création d’un programme multisectoriel de lutte contre les drogues et l’alcoolisme ;   La redynamisation des actions de Programme national de lutte contre le SIDA et les infections sexuellement transmissibles (PNLS/IST) en soulignant aussi le rapport entre Infections et maladies sexuellement transmissibles (IMST) et sécheresse procréative ;   La révision et la réorientation de la politique du Programme national de santé de la reproduction (PNSR) par rapport à la santé de la procréation au lieu de santé de la reproduction ;   Le renforcement et l’extension de l’instruction aux droits de l’homme en soulignant la dimension unitotalitaire de l’être humain ;      La création et/ou la redynamisation des institutions pluridisciplinaires. 

 S’agissant de ces dernières, les comités d’éthique en matières biomédicales et les établissements sanitaires spécialisés sont très nécessaires pour freiner le triomphe du transhumanisme en appelant, par des voies  métajuridiques et transtechnoscientifiques, à la responsabilité collective et au respect de l’humanité de l’homme dans sa singularité et dans sa pluralité. L’implication de ces institutions est réellement utile pour freiner la liberté sans responsabilité que réclament les technosciences de la procréation, pour protéger le symbolisme corporel de la poly-symbolisation biotechnoscientifique, et les générations futures de son nihilisme opératoire.

Telle est, brièvement esquissée, la substance des recherches que nous avons entreprises sur cette nouvelle forme de criminalité, propre aux sociétés technologiquement développées, et qui paradoxalement se développe  en RDC sans tambour battant.l est évident que la réalisation de cette recherche ne s’est pas faite sans difficultés. Outre l’absence d’une bourse d’études, pourtant nécessaire pour ces genres de recherches, la difficulté majeure est la nature même de la matière très liée au corporatisme qui ne permet pas l’obtention de certaines données ; comme par exemple les statistiques des enfants prothèses ou de banque nés en RDC depuis la pratique des PMA. Ces données relèvent encore du jardin secret des fivistes congolais.

 Pour terminer, nous avons l’espoir qu’avec votre concours, nous parviendrons à infléchir l’inévitable biotechnoscientifique.  

   Irénée MVAKA  NGUMBU
Diplômée  d’Etudes  supérieures  en Droit  pénal et en Criminologie

Dissertation  Présentée en vue de l’obtention de grade de Docteur en Droit


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